La répression comme solution aux crises

Réflexions sur les violences policières contre le DIY-festival qui s’est déroulé à Fribourg en 2006

Nos camarades de Strasbourg de la «Fédération Anarchiste» ont traduit notre texte et ils ont écrit d’autres textes sur le DIY. Merci beaucoup !

Fribourg est connue pour être une ville alternative et tolérante. Cette situation est généralement liée à l’histoire de la ville qui a été marquée par le mouvement anti-nucléaire et le mouvement squat. Le fait que l’actuel maire soit membre du parti des Verts entre également en compte. Pourtant, les participants à la convention anarchiste « Do it yourself - Against the State » qui a eu lieu du 27 au 30 juillet à Fribourg quitteront certainement la ville avec une opinion différente.

Dans un premier temps, la convention anarchiste se déroula de façon créative et pacifique. Le 27 juillet au soir des groupes de punk et autre hardcore jouaient au KTS, le centre autonome de Fribourg. Au même moment, un présumé tagueur a été arrêté [ndt à proximité du KTS]. Lors d’une tentative de la part du public venu assister aux concerts pour libérer le présumé tagueur, des incidents ont éclaté. Un policier a été grièvement blessé à l’œil (apparemment par un jet de bouteille). Ce malheureux incident a dès lors servi comme prétexte à l’utilisation d’une répression massive à l’encontre du DIY ainsi que contre l’ensemble de la gauche radicale de Fribourg dans les jours qui ont suivi.

Deux heures après, la police boucla le KTS à l’aide d’un dispositif important. Le lendemain, le camp a été expulsé et toutes les personnes présentes qui n’étaient pas de Fribourg se sont vu notifier l’expulsion de la ville. Le samedi 29 juillet devait avoir lieu une manifestation « Reclaim the Streets » prévue de longue date. Celle-ci devient finalement une épreuve de force entre la police et la gauche radicale. Dans un premier temps la situation sembla défavorable aux 400 manifestants dispersés dans toute la ville. Mais les nombreuses actions créatives (pacifiques) mises en place grâce à un Pink-Silver-Block, allié aux agissements stratégiques de la « Clown-Army », a permis d’imposer la manifestation contre la volonté de la police. De plus, elle s’est rendue impopulaire auprès de la population qui a été déconcertée par l’attitude martiale des policiers cagoulés, en tenu anti-émeute utilisant des serflex ainsi que par leur attitude particulièrement agressive. Les « Clowns » ont été particulièrement la cible des violences policière. Sortis du cortège, mis à terre, sous les protestations des passants, on les a menottés avec des serflex qui ont été resserrés à chaque mouvement, ce qui peut laisser des séquelles physiques.

Finalement la police réussit à encercler une grande partie de la manifestation. Après plusieurs heures d’attente les forces de « l’ordre » ont interpellé de manière violente un à un les militants soit pour procéder à un contrôle d’identité ou encore pour les arrêter définitivement.Contre cette manifestation pacifique, la police n’hésita pas à frapper au visage et à la tête à coups de matraque ceux qui étaient assis par terre. On n’avait plus vu de telles scènes à Fribourg depuis des années. Conformément aux circonstances, l’indignation de l’opinion publique fut importante dans les jours qui suivirent. La « Badische Zeitung » évoqua les nombreux témoignages critiques qui lui étaient parvenus. Les reportages des journaux locaux étaient divers (mention du policier blessé), mais en général plutôt critiques à l’égard de l’intervention de la police jugée disproportionnée et exagérée. L’abandon de la « ligne de Fribourg » c’est-à-dire la « désescalade » pour laquelle la police a été connue durant de longues années à également fait l’objet de critiques. C’est seulement durant ces deux dernières années qu’un éloignement progressif de cette tactique a été ressenti ; processus qui a atteint pour le moment son paroxysme durant la manif RTS.

La nouvelle stratégie de la confrontation ne peut être expliquée par la personnalité du nouveau chef de la Police Heiner Amann. Ceci est évident en jetant un coup d’œil sur les développements similaires que connaissent tout le Bade-Wurtemberg, toute l’Allemagne et même plus largement tous les pays occidentaux. Partout les centres autonomes sont fermés et les espaces libres de la gauche radicale restreints. De plus en plus, la violence et la répression, même l’état d’urgence comme lors des récentes émeutes en banlieue en France, sont utilisés contre ceux qui protestent. Des perquisitions, des confiscations ainsi que des plaintes motivées par des croix gammée détruites servant à illustrer des tracts antifas semblent depuis peu faire partie de la liste des priorités pour protéger l’Etat. Il semble que le capitalisme soit encore moins à même de supporter des plaisanteries ces derniers temps quand il s’agit de ses ennemis.

Cette évolution ne concerne pas seulement la gauche radicale : les lois anti-terroristes, la vidéosurveillance des centres-villes, les passeports biométriques, la multiplication des tests ADN et d’innombrables autres mesures touchent toute la population. Un exemple en est l’ASBO (« Anti-Social Behaviour Order ») en Grande-Bretagne. Avec ces lois le gouvernement britannique essaye de lutter contre les comportements « asociaux » ; mais en suivant cette logique on est déjà asocial quand on fait un peu trop de bruit le soir. Et on ne combat pas seulement les soi-disant individus dangereux mais aussi les fainéants. En Allemagne les chômeurs sont réduits de fait au travail forcé par la mise place d’emplois rémunérés à 1 euro de l’heure. Plus généralement les harcèlements de toute sorte contre les chômeurs ne cessent d’augmenter depuis des années.

Cette augmentation du contrôle sociale et des mesures répressives à l’encontre de la population ne peut être comprise que si on la considère comme faisant partie d’une politique globale de l’Etat pour résoudre un problème précis. Il est bien connu que répression et contrôle sociale ne sont pas nécessaires lorsque la population ne se révolte pas et qu’elle ne semble pas prête à le faire. L’Etat aurait-il donc peur des insurrections ? Cela n’est certainement pas impensable en Allemagne au vu des récents évènements qui se sont déroulés en France. Il est possible que les luttes sociales et les grèves qui ont marqué l’année dernière traduisent un mécontentement grandissant des gens envers un système qui réussit de moins en moins à assurer leurs besoins quotidiens, un système qui les marginalise économiquement et socialement, entre autres par le travail forcé. Il semble donc intéressant pour l’Etat d’anticiper les choses en étendant autant que possible son champ d’intervention.

Ainsi, par sa volonté répressive et son obsession de la discipline, l’Etat tente en dernier lieu de permettre à l’exploitation capitaliste de suivre son cours sans heurts, en usant de la violence lorsque les circonstances ne lui laissent plus d’autre alternative. Sans la contrainte, l’oppression et la violence, la société capitaliste de ce début de XXIème siècle ne pourrait pas continuer d’exister. C’est par sa propre logique de profit - comme Marx l’avait prédit - qu’elle s’effondrera d’elle-même. L’exploitation économique, le pouvoir d’achat de la population et la stabilité sociale ne font pas bon ménage ensemble dans la durée surtout en ces temps où la croissance fait défaut.

Cette désintégration de la société amène les individus à prendre conscience de certaines réalités - prise de conscience qui peut être grandement accélérée par la répression étatique - et c’est évidemment une chance pour les idées révolutionnaires et l’espoir d’une société libérée de l’exploitation et de l’oppression capitalistes. Il est tout aussi évident que nous ne pouvons pas accepter sans réagir la répression, c’est-à-dire la lutte de l’Etat contre l’existence d’une action révolutionnaire et d’espaces collectifs libres. Comme le dit si bien Tocotronic : « Il faut rendre ses coups au malheur. »

La Banda Vaga